mardi 9 août 2011

Imagined Communities

En 2006, mon professeur d’Histoire, Elikia M’Bokolo (eh oui, il a son article sur Wiki) m'avait chaudement me recommandait chaudement une synthèse alors inédite en français sur la naissance du nationalisme, Imagined Communities de Benedict Anderson. Je ne l'avais jamais vraiment lu — tout juste survolé, pinaillant quelques faits et notions facilement réutilisables dans une dissertation.

Et puis, la semaine dernière, m'attelant à un rangement complet de ma bibliothèque personnelle, je suis retombé dessus. J'ai commencé à le feuilleter, découvrant un ouvrage tout différent du souvenir que j'en avais gardé. Un vague prequel du Nations et nationalisme d'Eric J. Hobsbawm, pensais-je. En fait, c'est mieux qu'Hobsbawm.


La présence du verbe adjectivé Imagined peut faire fuir certains. Au cours de ces deux dernières décennies, les études sur l'imaginaire se sont beaucoup galvaudées, arpentant parfois des directions pas toujours compatibles avec les règles élémentaires de déontologie scientifique. Typiquement, les études de Patrice Flichy sur l'imaginaire d'internet m'ont toujours surpris par leurs développements un peu absconse, pas si éloigné de certaines phraséologies marketing.

L'optique d'Anderson est en fait très prudente. Il ne décolle jamais du concret et des structures quotidiennes de la vie sociale. Le nationalisme n'est pas le produit d'un maelström d'images du monde en fermentation. C'est la conséquence logique de toute une série de mutations techniques, au premier rang duquel on trouve le quotidien imprimé.

Le journal constitue une forme hypertrophiée du livre : sa diffusion est aussi phénoménale que sa popularité est éphémère. Un best-seller d'un jour, pourrait-on dire. L'obsolescence du journal (…) crée une extraordinaire cérémonie de masse : la consommation quasi-simultanée (l'imagination ou intégration comme image) du journal-comme-fiction (…) La fiction s'insinue doucement et continûment dans la réalité. Elle fonde une véritable foi en une communauté anonyme. De cette foi dérivent les nations modernes (p. 35-36 de l'édition anglaise — c'est moi qui traduit)

Un peu plus loin, il enfonce le clou avec une maxime bien tournée (p. 134)

Le nationalisme est l'invention du langage imprimé et non d'un langage en particulier

Chez Anderson, les attributs culturels n'ont aucune importance. Ils sont interchangeables et ne représentent aucune valeur propre. Ce qui l'intéresse, c'est leur agencement, la grammaire socio-technique qui les fonde et les ordonne : les industries médiatiques, le turnover des fonctionnaires aux quatre coins de l'espace national en formation, les réseaux d'anciens élèves dans les grandes écoles… Bref tout un ensemble de faits objectifs qui permettent d'éviter toute réduction à l'irrationnel et à l'esprit communautaire.

Au moment où je terminais ma lecture, j'apprenais que le collectif parlementaire la Droite populaire décidait de se constituer en organisation politique autonome. Au centre de ses revendications on trouve ce type de profession de foi :

Le collectif de la droite populaire croit en la Nation, seul cercle d’appartenance à la fois à l’échelle de l’homme et à l’échelle du monde. Nous souhaitons la promouvoir comme gage de stabilité entre les peuples et comme élément fondamental de notre identité.

Le genre de jargon qui me donne envie d'expédier fissa à 35 députés, un exemplaire d'Imagined Communities.

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